"AVERTISSEMENT
La Vie et Demie,
ça s’appelle écrire par étourderie. Oui, Moi qui vous parle de l’absurdité de
l’absurde, moi qui inaugure l’absurdité du désespoir – d’où voulez-vous que je
parle sinon du dehors ? A une époque où l’homme est plus que jamais résolu
à tuer la vie, comment voulez-vous que je parle sinon en
chair-mots-de-passe ? J’ose renvoyer le monde entier à l’espoir, et comme
l’espoir peut provoquer des sautes de viande, j’ai cruellement choisi de paraître
comme une seconde version de l’humain – pas la dernière bien entendu – pas la
meilleure – simplement la différente. Des amis m’ont dit : « je ne
saurai jamais pourquoi j’écris. » Moi par contre je sais : j’écris
pour qu’il fasse peur en moi. Et, comme dit Ionesco, je n’enseigne pas,
j’invente. J’invente un poste de peur en ce vaste monde qui fout le camp. A
ceux qui cherchent un auteur engagé je propose un homme engageant. Que les
autres, qui ne seraient jamais mes autres, me prennent pour un simple menteur. Évidemment l’artiste ne pose que l’une d’une infinité des ouvertures de son
œuvre. Et à l’intention des amateurs de la couleur locale qui m’accuseraient
d’être cruellement tropical et d’ajouter de l’eau au moulin déjà inondé des
racistes, je tiens à préciser que La Vie et Demie fait ces taches que la vie
seulement fait. Ce livre se passe entièrement de moi. Au fond, la Terre n’est
plus ronde. Elle ne le sera jamais plus. La
Vie et Demie devient cette fable
qui voit demain avec des yeux d’aujourd’hui. Qu’aucun aujourd’hui politique ou
humain ne vienne s’y mêler. Cela prêterait à confusion. Le jour où me sera
donné l’occasion de parler d’un quelconque aujourd’hui, je ne passerai pas par
mille chemins, en tout cas pas par un chemin aussi tortueux que la fable."
Sony Labou Tansi La vie et demie Editions du Seuil 1979